Dans une tribune à l’Usine Nouvelle d’Avril 2016, Laurent Manarch, Directeur du Pôle de compétitivité EMC2 nous propose un principe qui pourrait paraître incongrue. Serait-il possible de confier l’innovation au hasard ? Dans sa proposition, par une organisation adéquate et une approche d’ouverture et de curiosité, la sérendipité systématisée pourrait contribuer à l’efficacité des dispositifs d’innovation des entreprises. Suivant cette proposition, cet article tente de proposer une réflexion de la transposition de cet « outil » au service de l’innovation d’une entreprise de coaching professionnel.
Epistémologiquement, la sérendipité relèverait d’une capacité de mise en œuvre d’un processus cognitif. Selon la psychologie du développement cognitif, ledit processus pourrait ainsi comprendre différents stades de développement chez l’individu. Dans le cadre d’un déploiement de cette capacité dans une situation donnée, le processus permettrait au dit individu de conscientisé la valeur ou la potentialité d’un événement, concept ou objet obtenu de façon non pleinement anticipée. La notion d’anticipation de l’occurrence relevant alors des différentes acceptions de Paul Thagard :
- trouver quelque chose que l’on ne cherchait pas ;
- trouver quelque chose que l’on cherchait mais par un moyen imprévu ;
- bien trouver quelque chose, mais qui sert à tout autre chose que ce à quoi on pensait au départ.
Par ailleurs, il serait à noter qu’en considérant le stade de développement du processus chez l’individu comme variable dépendante d’étude. L’occurrence de l’objet par lequel l’individu pourrait faire preuve de sérendipité serait une variable indépendante pour l’expérimentateur dans l’évaluation d’un niveau de développement du processus chez l’individu.
Dans ce cadre, la proposition de réflexion pour cet article est d’évaluer la valeur de ce processus cognitif dans le cadre d’un processus de coaching. L’articulation envisagé est autour de deux dimensions :
- Quel protagoniste du processus pourrait endosser le rôle de l’inventeur ?
- Comment pourrait être mise en jeu l’appréciation de l’importance de la découverte issue du processus cognitif ?
Tout d’abord, s’il est considéré le coach comme expérimentateur de la capacité de sérendipité.
Sur le plan opérationnel, le coach est dans une posture basse sur le contenu. En ce sens, il ne cherche pas mais interroge la demande du client dans ses différentes dimensions. Le coach pourrait alors faire preuve de sérendipité en trouvant par les transactions du client, un levier d’activation de la motivation ou un questionnement permettant d’induire le repositionnement de son client. Par son ouverture et sa posture base sur le contenu, le coach pourrait découvrir de tels éléments sans l’avoir anticipé. Ce point peut néanmoins être remis en question par l’approche de l’entretien et la posture sur le cadre.
Sur un plan tactique, le coach déploie en effet un ou plusieurs outils pour répondre à son obligation de moyen dans le processus de coaching. En revanche, selon l’aphorisme d’Alfred Korzybski « la carte n’est pas le territoire ». Ainsi, l’outil mis en œuvre est envisagé sur le base d’une représentation du territoire du client, sa rationalité subjective. La découverte issue de l’exploration remet en jeu cette dite représentation du client. Cette évolution perpétuelle pendant et hors du cadre des séances positionne le coach comme explorateur plus que comme inventeur. En ce sens, il serait incorrect de dire que le coach trouverait ce qu’il n’attendait pas. Puisqu’il n’attend rien du territoire de son client autre qu’une représentation à l’instant présent.
En revanche, par les transactions proposées par le client, le coach pourrait découvrir un levier ou un relais de déploiement de ces outils qu’il n’attendait pas. Il lui appartiendrait alors d’être conscient de la découverte et de sa valeur dans la mise en œuvre du processus pour induire une prise de recul, un positionnement, etc. Par extension, la notion d’importance de la découverte est une évaluation qui serait alors de la responsabilité du coach. Par son obligation de moyens pour son client, il ne pourrait déontologiquement objecter l’usage d’un moyen important pour le coaching tout en ayant conscience de ce dernier.
Sur le plan épistémologique, le coach pourrait également être considéré comme intermédiaire du développement du processus cognitif chez le client. Si l’on considère un outil du processus de coaching, tel que la dissonance cognitive selon le principe de Festinger dans le cadre de la théorie de consistance cognitive. Par la mise en exergue des dissonances cognitives du client, le coach induit auprès de ce dernier une prise de recul voire un repositionnement, en d’autres termes et dans une certaine mesure il amène le client à « trouver » un nouveau point de vue, une nouvelle vision de son objectif ou de ses ressources dans l’atteinte de son objectif. Par cette démarche, le client pourrait alors en arriver à trouver quelque chose qu’il ne cherchait pas ou qu’il cherchait mais hors du cadre utilisé par le coach. Cette seconde vision pourrait être relativisée dans la mesure où l’on considère le coaching comme moyen de la découverte. Dans ce cas, le client étant à la base de la demande, il connaît et prévoit par son engagement dans le processus le moyen de sa découverte. Ce point rejoindrait la seconde approche de la sérendipité proposée.
En poursuivant dans cette seconde perspective, si l’on considère la capacité du client à mettre en œuvre ce processus cognitif.
Le client formule par sa demande et son engagement dans le processus de coaching la volonté de s’inscrire dans une posture d’inventeur de sa propre solution. Par la formulation de sa demande, le client exprime son attente vis-à-vis d’une chose à découvrir le concernant. De plus, en s’engageant en conscience dans le processus de coaching il fait appel à un outil par lequel il va envisager une solution qu’il ne trouve pas ou qui ne lui convient pas dans la forme qu’il peut en donner à cet instant. Cependant, si l’on considère qu’un client n’expérimente un coaching qu’une seule fois dans sa vie, dans la mesure où le processus induit l’autonomisation et la responsabilisation du client. Le client est a priori dans une posture ne lui permettant pas de conscientiser ce qu’il va « trouver » par cette forme d’accompagnement. En ce sens, il s’agit bien de sérendipité si le client parvient au terme de son coaching. Le moyen de cette découverte n’en est pas pour autant imprévu, au contraire à travers l’engagement en pleine conscience du client dans le processus de coaching. On pourrait parler alors de sérendipité de type 2 ou 4 pour un client. Toutefois, si le client s’engage dans le processus de coaching sur la base d’une non demande, le processus de coaching n’est alors pas pleinement déployé et le client refuserait de reconnaître ses ressources et sa capacité à découvrir une solution qu’il ne parvient à envisager à cet instant. Il ne se reconnaît pas de capacité de sérendipité suffisamment développée pour remettre en jeu sa demande dans le cadre du coaching.
Références
- Laurent Manach, « [Tribune] La sérendipité, l’art de provoquer le hasard, s’applique aussi à l’industrie », L’Usine Nouvelle, France, 30/04/2016 – https://www.usinenouvelle.com/article/tribune-la-serendipite-l-art-de-provoquer-le-hasard-s-applique-aussi-a-l-industrie.N388781
- Paul Thagard & David Croft, « Scientific Discovery and Technological Innovation : bacterial origin of peptic ulcers and programming language Java », University of Waterloo, Canada, 2000
- Alfred korzybski, « Une carte n’est pas le territoire », Editions de L’Eclat, France, Janvier 2007